5 pistes pour un graphisme plus agile, sans gaspillage.
1. Impressionner le client avec le premier livrable
Quand je travaillais du côté obscur (côté client, marque de bien-être haut de gamme), il m’est arrivé de recevoir un premier livrable très propre : un joli guide, mis en page avec choix des couleurs, typographie, exemples de mises en page, etc.
Seul bémol ? L’identité proposée était complètement à côté de ce que nous avions en tête. Pourquoi ?
Lorsqu’on transmet un brief, il est facile d’oublier que nous n’avons pas tous la même perception des mots. Dans le cas en question, les designer et nous n’avions pas en tête la même pondération des différents axes de la marque. Nous voulions un aspect santé marqué pour un spa, tandis qu’ils ont effacé la dimension sensorielle derrière l’idée de santé.
Que faire ? Deux solutions :
- se laisser convaincre par le discours professionnel et l’aspect fini du document, et accepter une identité inadaptée,
- faire monter la tension en jetant le travail réalisé et demander la reprise du travail.
Entre ces deux options, la décision dépendra du fonctionnement de votre organisation…
Mais l’erreur fondamentale n’est pas l’imperfection du brief ou de sa compréhension. L’erreur fondamentale, c’est de présenter un premier livrable impressionnant après plusieurs jours ou semaines de tunnel créatif !
Beaucoup de graphistes ne montrent pas leurs premiers jets d’axes créatifs et leurs travaux de recherche (et de fait, on ne sait même pas s’ils ont mené de tels travaux). Ils prennent le temps (long) de faire de peaufiner des visuels et de mettre en page un guide impressionnant.
Je ne leur jette pas la pierre, c’est aussi la faute du client moyen qui ne sait pas réfléchir sur une proposition inachevée, même quand le prestataire est très explicites sur les dimensions à évaluer. Ce cher “client moyen” qui n’a aucune expertise en communication visuelle exprime souvent des demandes précises (“je verrais bien du bleu”) lors d’une phase de recherche qui ne concerne pas la couleur et sans apporter de justification professionnelle à cette préférence subjective.
Le designer évite ce micromanagement pour gagner du temps en livrant directement un produit fini que le client peut commenter en l’état. Il parie quitte ou double en espérant impressionner et démontrer son professionnalisme.
Le problème de cette approche c’est le temps passé à finaliser des détails et prendre des décisions avant le moindre retour client. Tout ce travail minutieux risque donc d’être jeté ! Nous allons voir avec les points suivants que c’est la porte ouverte aux pires gaspillages.
2. Ne proposer qu’un seul axe
Cette erreur va de paire avec l’habitude de rendre un premier livrable fini.
Lorsqu’il ne propose qu’un seul axe créatif, l’infographiste passe beaucoup de temps sur son axe unique. C’est très risqué ! Si l’axe ne convient pas il devra être jeté et le temps passé à fignoler sera gaspillé. Le temps perdu avant de recadrer posera problème au moment de finaliser l’axe retenu. Le graphiste doit investir (son temps) dans la créativité, pas dans une idée.
Problème créatif
L’axe unique pose le problème créatif d’un sérieux manque de diversité. La réflexion, focalisée sur une seule idée, permet l’amélioration incrémentale mais rend presque impossible le “saut quantique” vers la meilleure idée. C’est le problème connu du “maximum local”.
En choisissant un axe trop tôt, le designer perd toute chance d’identifier un axe plus intéressant.
Les études montrent que même les experts doués pour trouver rapidement les bonnes idées montrent des blocages une fois engagés sur un axe unique.
En limitant la phase d’exploration, le graphiste peut passer à côté d’indices cruciaux. Il va déformer sa démarche d’analyse pour justifier et rationaliser a posteriori ses choix et le temps déjà investit sur une solution (mécanique d’engagement). Dans un groupe, des logiques de pressions vont réveiller des comportement négatifs et irrationnels.
Le client lui même aura du mal à critiquer un axe unique car il a l’impression de dire “ton travail ne convient pas, jette tout et recommence” ce qui parait injuste et risque de créer des tensions importantes.
Problème pour l’analyse rationnelle
Le design est ouvert et multidimensionel. Typographie, couleurs, iconographie, mise en page, textures, formes, symboles… Le nombre de combinaison possibles entre les différents paramètres d’un design est bien trop élevé pour conduire des démarche systématiques et exhaustives ; pourtant le designer doit imaginer, tester et analyser des solutions variées.
Travailler sur un axe unique avec une critique séquentielle ne permet pas de faire ressortir les variables clef et leurs relations. A contrario, la critique parallèle de plusieurs designs encourage l’analyse et la comparaison des paramètres significatifs par le client et le prestataire. Cette méthode permet de cibler les points clefs du projet.
Problème décisionnel
Impossible de prendre une décision éclairée sans alternatives ! Même avec plusieurs alternatives, l’embarras du choix peut signaler un manque de divergence ou de critères de filtrages.
Le graphisme peut s’inspirer du webmarketing où l’on essaye d’obtenir des choix rationnels en émulant la méthode scientifique avec les “split tests”.
Les choix précoces ou “prématures”, c’est à dire choisir avant d’avoir proposé et analysé suffisamment d’axes divergents, sont le premier obstacle à la créativité des organisations. Partant de ce constat, les méthodes de créativité, parmi lesquelles la plus primitive : le brainstorming, éliminent ce biais lors d’une phase de divergence maximale, réservant la critique et le filtrage pour une étape ultérieure.
3. Confondre critique du livrable et critique de la compétence
Encore une conséquence de l’axe unique ou du manque de diversité !
Les créatifs et marketers sont généralement attachés à leur création, leur “bébé”. Les collaborateurs techniques ou business le savent bien et dans les grandes organisations, les professionnels non-marketing apprennent vite à ne jamais commenter les travaux pour ménager les susceptibilités…
Lorsque le client commence à critiquer le travail qui est présenté, le réflexe émotionnel du designer est de défendre le bébé et donc chercher les justifications pour le temps passé et les choix retenus. L’erreur émotionnelle est de ressentir la critique du travail comme une attaque contre la personne.
Le client doit donc faire attention à critiquer le travail en le dissociant bien du designer : “ce type de symbole me semble contredire les valeurs de la marque” plutôt que “je ne comprend pas pourquoi vous choisissez des coins arrondis”.
Mais revenons encore sur le problème du parallel prototyping.
Avec une seule option, l’échec est catastrophique et il n’y a plus de séparation entre le designer et son design !
Lorsqu’il propose au moins 3 axes, le graphiste est beaucoup moins attaché à son travail puisque éliminer 2 axes revient à plébisciter le 3ème. Le créatif prend acte de la nature expérimentale de la création : si l’on propose plusieurs axes, c’est que les axes sont faits pour être jetés.
Avec cette logique en tête, le graphiste va droit à l’essentiel ; inutile de perdre du temps sur les détails avant le premier retour client. À l’inverse du design sériel, le parallel prototyping distancie l’ego de l’objet créatif.
Dans ce contexte, les retours critiques encouragent la créativité (mélange des axes, recherche d’axes supplémentaires…)
Les critiques eux-même confondent le designer et son travail dans le cas d’une proposition unique. Les études montrent que les critiques sont alors retenues de peur d’agresser le créatif.
Au contraire, les critiques se sentent parfaitement libres d’approfondir sincèrement leurs sentiment et analyse face à des alternatives suffisamment divergentes.
4. Isoler les créatifs du client
Un gaspillage spécifique aux moyennes et grosses agences.
Partout où il y a des commerciaux et des chefs de projets, il existe la tentation de justifier leur rôle en en faisant le point de contact unique du client. Le problème n’est donc pas spécifique aux agences de communication : on le retrouve aussi en développement informatique…
La pratique augmente simplement les coûts de transaction, et détériore le rapport signal/bruit (effet « téléphone arabe ») en ajoutant un intermédiaire malvenu.
Les ralentissements occasionnés, en plus d’être dispendieux, agacent le client.
Les créatifs se trouvent isolés dans leur tour d’ivoire et ne savent plus à qui ils rendent service.
Il faut aussi prendre en compte la différence de fonctionnement entre ces métiers et la prise de risque quand l’un parle au nom de l’autre devant le client :
- le commercial vend et promet, avec une tendance à en rajouter “par dessus le marché” pour obtenir la vente,
- le professionnel (créatif ou technique) identifie immédiatement les contraintes, les limites, les risques et parfois faire preuve de “paresse” (ce qui peut-être utile !) face aux défis proposés.
Il vaut mieux apprendre aux créatifs à être plus “commerciaux” que de les séparer des clients pendant les travaux. C’est aux créatifs et non aux chefs de projets de présenter leur travail au client et c’est au client d’exprimer son retour directement aux créatifs. Un chef de projet de profil consultant (et non commercial) peut servir de médiateur lors de ces échanges.
5. Refaire les même choses à la main
Comme dans biens des métiers, beaucoup de tâches et outils devraient être automatisés et/ou standardisés. Le manque de rationalisation peut pénaliser les marges de l’agence, l’efficacité du client et bien souvent les deux. Quand le prestataire est payé au temps passé il n’y a plus d’encouragement à l’efficacité et c’est le client qui en paye le prix le plus direct !
Quelques exemples d’éléments à standardiser ou automatiser pour un travail de grande qualité sans gaspillage :
- Le titrage des documents (utiliser absolument et dès le début les systèmes de styles prévus par InDesign, Word…),
- La communication interne et avec le client (documents, e-mails, templates des tasks managers…),
- Les mockups (maquettes ou simulations du projet dans son contexte avant impression),
- Les gabarits pour structurer les fichiers d’exécution et de travail,
- Les chemins de fer de guides visuels et autres livrables,
- Les tarifs ! Les agences passent traditionnellement beaucoup de temps à faire des devis sur mesure et à négocier alors que les coûts peuvent être rationalisés. Aucune création de valeur ici, dans le meilleur des cas une “captation de valeur”. Un article complet sur le sujet est en préparation.
- Les autres process commerciaux et marketing.
Comment éviter le gaspillage?
En tant que client
Commencez par demander un retour rapide : d’abord une reformulation du brief pour s’assurer que tout le monde parle la même langue, ensuite et surtout une première livraison rapide.
Exigez de voir des axes créatifs divergents (paralell prototyping) si ça n’est pas standard chez votre graphiste ; vous pourrez comparer et analyser ces axes en parallèle tout en considérant les recommandations de l’infographiste.
Pensez à réduire la taille des lots et prioriser.
Concernant les tâches non standardisées le principal levier du client est d’éviter de payer à l’heure. Vous pouvez aussi choisir des tarifs prédéfinis plutôt que négociés mais ce n’est pas une garantie de bonnes pratiques.
Pour le graphiste
Une règle d’or : si c’est la troisième fois que vous répétez une tâche, investissez pour la rationaliser.
Recevez la publication scientifique
24 pages par l’Université Stanford sur le parallel prototyping et ses vertus.