Article invité par PME Révolution.
Tarif horaire, à la demi-journée, coût du jour/homme, facturation à la semaine, abonnement au mois… Vous ne devriez pas signer vos contrats avec des freelances, des consultants ou des agences avec un prix variable par unité de temps.
Les intérêts du client et du graphiste divergent
L’économiste Frédéric Bastiat nous offre une méthode intéressante pour départager deux situations économiques : imaginer l’extrême de chaque situation et constater l’issue la plus éthique et/ou efficace. Ici voyons l’influence du tarif, horaire ou forfaitaire :
- si le prix est fixe : la satisfaction du client est garantie contractuellement. Plus tôt le client aura obtenu satisfaction totale, plus la marge du prestataire sera intéressante. Les deux parties ont donc un même intérêt : aboutir rapidement.
- si le prix est en fonction du temps : plus de temps passé à satisfaire le client génère plus de revenus. Pourquoi se presser ? Le seul intérêt direct du prestataire est d’augmenter son revenu puisque sa marge est fixe (le taux horaire est le même, que le prestataire travaille 1h ou 200h). Le prochain client payera le même taux horaire et si ce projet est fini en avance, le prestataire n’a plus de revenus entre les deux contrats. Le prestataire a donc intérêt au gaspillage ! (Par exemple 6 allers-retours au lieu de 3).
Bien-sûr les prestataires sont généralement de bonne volonté et ne vont pas massivement et volontairement ralentir un projet pour gagner plus. Selon le statut du prestataire, les dérives réellement constatées seront différente :
Dérives potentielles d’un freelance :
Un freelance pourra laisser le projet s’étirer. Il aura tendance à se laisser porter par les événements. Il attrapera des idées hors-périmètre au vol et poussera leur inclusion dans le projet… Il ne sera pas choqué de passer du temps sur des détails sans valeur ce qui génèrera une surqualité coûteuse. In fine, l’énergie du client se disperse et les coûts dérivent doucement hors du budget. Si la dérive est rattrapée en milieu de projet le client hérite d’un résultat bancal, trop raffiné au démarrage et bâclé sur la fin. Il faut enfin noter que les méthodes anti-gaspillage sont également efficaces pour trouver les meilleures idées et ne pas se focaliser sur des idées médiocres. Un prestataire qui n’optimise pas sa pratique risque de passer plus de temps à tourner en rond sur les détails d’un concept médiocre. Lisez les articles sur le gaspillage en graphisme et les petits lots LEAN.
Dérives potentielles d’une agence :
En plus des tendances communes aux freelances, l’agence a des équipes salariées à occuper. Chaque heure/homme sans travail est perdue pour l’agence (salaire payé, pas de revenu). Les responsables vont naturellement prendre en compte les disponibilités de l’équipe dans l’organisation d’un projet. Celui-ci pourra se voir attribuer des effectifs variant du simple au double selon les agenda du moment ! Ensuite les manager rationalisent leur choix en prétendant gagner du temps avec cette équipe plus fournie. Mais la gestion de projet ne marche pas comme cela. Doubler l’équipe ne double pas le temps d’exécution. Il faut prendre en compte les coûts de transaction internes et les rendements décroissants. La loi de Brooks constate qu’ajouter des ressources à un projet en retard le ralentit d’avantage. Ne cherchez pas plus loin la cause des chiffres qui font scandale dans la presse : logos et sites web à plusieurs centaines de milliers d’euros. Le client est la première victime des surcoûts engendrés.
Les avantages du forfait
Pour mettre fin à ce conflit d’intérêt où plus la valeur est délivrée tard, plus le revenu du prestataire augmente, signez des contrats au forfait (à budget ou tarif fixe).
- Valeur : le travail n’a aucune valeur pour vous, client. Que feriez-vous d’un jour-homme de graphiste ? La seule valeur pour vous, c’est le capital créé et livré en fin de projet : un logo, une charte, un visuel qui va augmenter les ventes ou générer des likes.
- Éthique : comment être parfaitement confiant en sachant que notre partenaire a un intérêt mathématique à nous léser et vice versa ? Le conflit d’intérêt n’est pas une solution éthique.
- Efficace : des partenaires avec les même buts avancent naturellement plus vite et plus précisément vers les résultats souhaités. Le prestataire n’a aucun intérêt à se disperser ou à tourner en rond sur des idées médiocres. Le temps perdu n’ampute que sa marge.
- Progrès : qu’il passe 100 heures ou 1 heures à satisfaire le besoin client, le prestataire encaisse le même chiffre d’affaire. Pour aller plus vite et améliorer ses marges, il est naturellement poussé à mieux comprendre son client. Il gagne en écoute et en empathie et améliore ses méthodes régulièrement. Sa marge croit avec la satisfaction du client. Le prestataire qui a su construire sa réputation sur cette efficacité crée plus de valeur et peux appliquer des tarifs en rapport.
Convaincre le prestataire d’appliquer un tarif fixe
Dans l’idéal c’est l’agence ou le freelance qui conçoit et propose un fonctionnement forfaitaire et gère le risque et le gaspillage, cadre la prise de brief avec sa méthode et ses supports, conduit un interrogatoire pointu, fait preuve d’écoute et de prévoyance. Malheureusement, vous avez trouvé un prestataire talentueux qui ne travaille qu’à l’heure ?
Essayons de le convaincre :
- Rappelez au graphiste où se situe la valeur pour vous : dans le travail produit, pas dans le temps passé.
- Responsabilisez le designer. Rappelez-lui que vous signez un partenariat avec un professionnel actif, un consultant, pas un exécutant passif.
- Soyez sérieux : travaillez avec des budgets raisonnables ; vous devez avoir conscience que ce mode de travail vous apporte plus de valeur et augmente le risque supporté par votre expert.
- Prévoyez les obstacles : quand le projet implique de l’incertitude, le prestataire ne veut pas supporter tout le risque. C’est souvent le cas pour le code, le graphisme n’est pas une activité très exposée. Dans ce cas c’est aussi votre rôle de fournir un brief rassurant, de prendre acte de l’existence du risque et d’en tenir compte dans le budget du projet.
- Sur les projets complexes, réduisez la taille des lots. Cette pratique Lean fondamentale élimine le risque et le gaspillage, offre plus de souplesse à l’entreprise et l’oblige à analyser son modèle économique.
Enfin tout n’est pas rose ; ce mode de travail crée un vrai risque pour le prestataire : le client qui tire sur la corde, par inconscience ou malhonnêteté ! Le prix est fixé contractuellement, ce qui est facile à faire appliquer : il suffit de s’en tenir aux chiffres.
Parfois, le client en profite pour faire glisser le périmètre : c’est plus difficile à constater s’il y a de la mauvaise foi. Le client glisse plus ou moins subtilement de nouveaux travaux ou augmente le niveau de finesse requis des livrables. “Juste cette petite modification”, retravailler un peu ce motif, comparer d’autres couleurs, essayer une version comme ceci, remanier la mise en page comme cela (rapidement !)… Les “petites” demandes qui s’accumulent sur chaque partie d’un projet peuvent rapidement doubler la charge de travail et engloutir la marge du prestataire.
La solution ? Un périmètre clair et une proposition positive systématique pour les dépassements (pas de doigt dans l’engrenage). Ce focus est aussi dans l’intérêt du client et c’est pour cela que le client travaille au forfait ! Enfin les prestataires ne doivent pas hésiter à éloigner les “mauvais” clients qui de toute façon ne seront jamais contents ni rentables. Ils se convaincront qu’ils sont mal servis pour finir par aller entacher la réputation du graphiste.
Méthode pour un tarif fixe
Une entreprise ne se gère pas, ou pas que, à l’intuition. Pour rédiger un brief clair et rassurant assis sur un budget économiquement rationnel, suivez le guide !
- Identifiez le projet, définissez les objectifs et limitez-les (scope) : De quoi avez-vous besoin ? Une série de visuels pour augmenter l’engagement sur les réseaux sociaux ? Une identité visuelle pour lancer la réputation de votre nouvelle marque ? Soyez précis sur les limites du projet.
- Comment mesurer l’atteinte des objectifs ? Le taux d’engagement passe à 10% ? Les focus group montrent une perception de la nouvelle marque conforme au cahier des charges marketing ?
- Formaliser la valeur du projet : Pourquoi ce projet est important ? Qu’est-ce qui sera mieux après le projet qu’avant ? Le trafic sur votre site marchand augmente grâce aux clics venus des réseaux sociaux ? Le désir et le bouche à oreille accueillent le lancement de votre nouvelle marque ?
- Budget alloué pour obtenir cette valeur : Vous savez exactement ce que vous attendez ; combien devez-vous investir dans ce but ? Est-ce cohérent ?
Poppy Jikko vous aide à structurer votre brief, éviter les gaspillages et fixer une stratégie efficace. Pour en savoir plus sur notre méthode, vous pouvez explorer ce site ou nous envoyer vos questions via le formulaire en pied de page.
Bonus : Le salariat et les fonctionnaires
En lisant cet article vous vous écriez : “Et le salariat ? C’est l’essence du salariat de travailler à l’heure. !” Vous avez raison ! C’est un des plus gros problème du salariat : le désalignement des intérêts du salarié et entreprise!! Comme le freelance, le salarié dont le revenu est indexé sur le volume de travail n’a qu’un intérêt : une liste de tâche qui déborde. Je le sais, je l’ai fait naturellement et sans penser à mal dans les années 2000. À force de trouver des idées et de lancer des projets parallèles pendant mon stage de Master II, j’ai fini par récupérer un CDI. J’ai multiplié le travail ! Ce n’était pas forcément un mal pour l’entreprise mais mon comportement était biaisé à contresens des intérêts de l’entreprise. C’est pernicieux parce que pas forcément apparent au dirigeant dynamique qui voit les bonnes idées plutôt que la dispersion ou ne souhaite pas casser la motivation des salariés. Connaissez-vous la loi de Parkinson ? Le travail se multiplie jusqu’à occuper tout le temps disponible et les fonctionnaires se multiplient sans accomplir plus de travail.
Le mécanisme :
- Tout le monde veut plus de subordonnés et moins de rivaux ;
- On divise le travail (on crée des subordonnés) au lieu d’encourager l’autonomie et l’efficacité (on évite les rivaux plus efficaces que soi) ;
- Il faut coordonner tous ces gens qui se donnent du travail les uns aux autres ;
- Tout le monde est débordé par ces demandes infinies de validation, de consensus, de coordination… Il faut embaucher ;
- Quand on a embauché des équipiers en plus, il faut les occuper. On leur donne des tâches qui deviennent vite indispensable ;
- Ils doivent “reporter” à leurs cadres et se coordonner avec leurs pairs ;
- Les cadres sont débordés ;
- etc.
Vous pouvez visiter PME Révolution pour connaître les entreprises qui ont trouvé une solution à la loi de Parkinson et à bien d’autres problèmes Shaddock.
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