La tentation du lourd
Quand un designer, un scénariste, un rédacteur ou un réalisateur introduit une référence culturelle ou un jeu visuel, ce n’est jamais pour être perçu par tout le monde au premier regard. La démarche contraire manque de professionalisme et le résultat ne peut qu’être lourd et inefficace !
Ajouter de la profondeur sans altérer l’impact
La subtilité d’une référence sauvegarde la simplicité de l’œuvre.
La simplicité permet la reconnaissance immédiate d’un logo ou la perception immédiate d’un univers, objectif n°1 de toute forme de marketing.
Une référence évidente ou trop facile ajoute du bruit dans le premier niveau de perception. Ce bruit constitue un échec car il brouille cette perception immédiate.
Face à cette contrainte, les porteurs de projet tendent à éliminer tout élément trop subtil. Pourquoi conserver une référence imperceptible ?
Les références et astuces discrètes donnent de la profondeur à la marque sur le moyen-long terme. Ce supplément de densité est un objectif secondaire mais il fait la différence entre le correct et l’excellent, entre l’acceptable et le durable.
Les références subtiles dans le design et le marketing
Références et astuces
Quelques catégories de références dans le design et le marketing
- Références culturelles
- évoquer un mouvement artistique, musical, un personnage historique, politique, etc.
- Astuces visuelles
- symboles formés par des lettres ou d’autres formes
-
- double sens
- Humour
- blagues visuelles ou ou situations humoristiques
Logo. Make it bigger !
Avant de parler de subtilité des astuces et références dans les logo, parlons de subtilité tout court. Dans le graphic design c’est souvent la taille du logo qui constitue la première offense.
La requête est tellement courant que c’est devenu une récurrente chez les graphistes : make it bigger !
Pour rester subtil, faites confiance au professionnel qui fixe une dimension adaptée au projet et à la marque. Une taille juste implique :
- Un équilibre visuel : fondation d’une sensation de professionnalisme et de qualité pour votre marque, pensez aux packaging apple ;
- Une hiérarchie de l’information : les tailles relatives, la mise en page et les différentes emphases donnent à chaque élément une importance conforme aux objectifs business du visuel ;
- La direction du regard : guider l’œil du client ne fonctionne qu’avec une mise en page soignée et cohérente ;
- Suffisamment de white space : pour maintenir une élégance, un confort de lecture pour garder les yeux du client sur le visuel. Cet espace libre est une bouffée d’air frais pour le client et un outil incontournable d’organisation de l’information (blocs).
Logo. Mais comment je sais que c’est une boulangerie ? Il n’y a pas de baguette.
Ne soyez pas trop littéral.
Restez simple. C’est la règle d’or du design. Si vous essayez d’être trop littéral vous allez finir avec un sacré bazar. Apple ne vend pas des pommes.
Il faudra peut-être que Apple et Windows changent leurs logo pour un petit ordinateur ?
Le premier logo d’Apple était très explicite, décrivant en détail la scène de la pomme de Newton. La perfection c’est quand il n’y a plus rien à enlever ; Apple a tellement enlevé qu’il manque un morceau à sa pomme iconique !
Les Rolling Stones n’utilisent pas une guitare ou des notes de musique sur leur logo mais une langue. Cela relaie une attitude. En général plus vous essayez d’en dire avec un logo, plus le message devient générique ou alambiqué. Si les Rolling Stones avaient utilisé une guitare, le logo aurait perdu l’impact et l’allure. Cela ne les aurait pas sorti du lot des autres marques.
Logo. “C’est génial ! Mais personne ne va le voir !”
Designers et marketers sont tentés de privilégier les logos géniaux, avec des détails malins, des astuces bien trouvées, des références sympa…
Le jeune designer est fier de son astuce géniale et veut que tout le monde en profite, il faut rentabiliser l’effort !
Encore une fois, le rôle fondamental du logo est de déclencher la reconnaissance (de la marque) aussi vite que possible. Pour atteindre cet objectif, la clef est la simplicité. Pour obtenir cette simplicité il faut à tout prix éviter de mettre l’accent sur les astuces et références. C’est cette subtilité qui garantit de respecter les objectifs du design de logo.
Un logo malin peut être vite trop chargé. C’est l’aspect pratique du problème. Il est difficile de simplifier et lisser suffisamment pour communiquer le concept rapidement et avec force.
Si un logo est visiblement malin et que les gens le remarquent en premier, ils ont probablement manqué le message. Même problème qu’avec un logo surdimensionné, le regard se trouve braqué sur le logo et non sur le produit et l’entreprise. Le travail du designer ne doit pas être visible. Si nous ne sommes pas remarqués nous avons fait un bon travail. Notre tâche est d’éliminer les distractions.
Enfin, tout comme les blagues peuvent s’épuiser, un logo trop explicitement malin vieillit plus vite qu’un logo fort et bien ciblé. A contrario, un logo dont l’astuce est très discrète gagne en popularité au fil du temps car les gens peuvent découvrir un sens caché qui réveille leur surprise sur un objet graphique avec lequel ils sont déjà familiers.
Si vous pouvez introduire ce deuxième niveau de familiarité, de surprise (ou de culture) via la subtilité, faites le, mais évitez la traduction trop littérale d’une idée, cela dédouble l’information et donc encombre le logo, ralentit sa perception.
Identité visuelle
Les éléments d’identité visuelle peuvent être plus riches et complexes que le logo, le problème de la simplicité y est moins universel. Pourtant il faut que l’ambiance passe au premier regard.
La question récurrente : “est ce que la cible va comprendre ta référence culturelle ?”
Il faut travailler en se disant que non, en visant la mémorisation et le feeling immédiat. Les références plus profondes (personnages historiques…) peuvent venir comme un deuxième niveau, moins accessible mais ajoutant complicité et surprise sur le long terme dans la relation marque client.
Dans le processus de création et de décision, on rencontre deux réflexes lorsqu’on propose des idées de branding incluant des références pointues :
- Éliminer les références ou éliminer l’axe parceque “les gens ne comprendront pas”. Il serait dommage de se priver d’un élément de subtilité qui renforcera la densité de la marque et donc l’appréciation à long terme (complicité avec les influenceurs, cœur de cible pointu…)
- Alourdir la référence pour s’assurer que tout le monde comprenne et vite. Cela revient à colorer en rouge la flèche Fedex ; le problème est le même que pour un logo, on noie la sensation immédiate dans le bruit.
Texte
Le principe de subtilité est le même pour une référence dans un texte ou dans un film : l’œuvre doit fonctionner sans la référence. Pousser le clin d’œil pour le rendre évident est une mauvaise idée.
Pour William Zinsser, auteur de “bien écrire”, les 4 fondamentaux de l’écriture sont :
- clarté,
- brièveté,
- simplicité,
- humanité.
Design
Quelques principes du “bon design” selon Dieter Ram.
Ces principes généraux éclairent parfaitement la question de la subtilité dans les logo, le branding mais aussi le texte et toute autre de création.
Un bon design est :
- Durable – il évite d’être à la mode et donc n’apparaît jamais daté. Contrairement à un design à la mode, il dure de nombreuses années, même dans notre société du jetable.
- Minutieux, rigoureux dans les moindres détails – rien ne doit être arbitraire ou laissé au hasard. Le soin et la précision dans le process du design montre le respect envers le client.
- Discret – les produits qui remplissent un objectif sont comme des outils. Il ne sont ni des objets décoratifs ni des œuvres d’art. Leur design doit donc être neutre et retenu, pour laisser de la place à l’expression individuelle de l’utilisateur.
- Aussi peu “design” que possible – moins de design mais un meilleur design car il se concentre sur les aspects essentiels et les produits ne sont pas encombrés par le superflu. Retour à la pureté, à la simplicité.
La subtilité du bon design consiste à soigner les détails (conserver les références subtiles qui demandent de l’attention pour être saisies) et épurer l’apparence (ne jamais appuyer lourdement sur une référence).
La subtilité des maîtres
La flèche invisible
Lindon Leader, designer du logo FedEx, raconte son combat pour la subtilité.
“Ne pas comprendre la chute en ne voyant pas la flèche ne réduit pas l’impact de la communication fondamentale du logo. La puissance du logo et le marketing FedEx qui supporte le logo sont assez puissants pour porter clairement le positionnement de FedEx. D’un autre côté, quand vous voyez la flèche ou que quelqu’un vous la montre, vous ne l’oubliez pas.”
“Il y a toujours une tentation et une tendance à déborder, à en rajouter et compliquer les choses, et c’est en effet ce qui s’est passé avec FedEx. Les gens ne sont pas bon dans la retenue. Ils ne comprennent pas que ne pas ajouter est vraiment une forme de soustraction. Tout à coup il y avait cette course pour dire au monde le secret. D’une certaine façon cela casse le propos, ne pensez-vous pas ? L’agence de RP de FedEx a tout de suite voulu jouer à fond cette carte, ils voulaient le rendre évident, remplir la flèche avec une autre couleur, la mettre en avant dans d’autres communication de la marque. Ils n’avaient pas compris. Ce n’était pas à propos de la flèche. Une flèche n’est même pas intéressante à regarder !
C’est juste sa subtilité qui est intrigante. Et ne pas voir la flèche ne réduit en aucun cas le pouvoir du symbole. La Flèche est juste l’ajout d’un bonus original. Nous avons dit “pas question”. Je le dis aux gens tout le temps : Henny Youngman, l’humoriste, avait sa signature avec cet acte autour de “Prenez ma femme. S’il vous plaît.”
Ce que les gars des RP voulaient faire serait l’équivalent de changer son gimmick par “S’il vous plait prenez ma femme”.
Si vous avez besoin d’attirer l’attention sur votre chute, de l’expliquer, ce n’est plus une chute ; ça ne fonctionne pas, ce n’est pas drôle et personne ne s’en souviendra. »
La charte graphique de FedEx interdit bien-sûr toute mise en valeur de la flèche invisible.
C’est beaucoup mieux n’est ce pas ?
Le Branded Content
Vous avez forcément vu ou entendu parler du saut supersonique (Red Bull). Imaginez si Felix Baumgartner avait sauté de sa capsule stratosphérique, et une fois au sol, vidé une canette de Red Bull face caméra. Cela ruinerait tout le concept et le facteur sympathie de cette campagne. Ce qui est choquant c’est que des tas d’entreprises font cela avec leur marketing, bien-sûr à plus petite échelle, en les rendant trop égocentrée et évidentes.
La petite musique
Qantas joue sa musique de marque avant le décollage.
Si la musique était jouée fort cela agacerait les passagers, en particuliers les voyageurs réguliers. En revanche, jouée très bas, la musique est plus hypnotique, elle agit comme une ancre qui induit une émotion unifiées entre tous les vols et fait le lien avec les publicités de la compagnie.
Si l’identité sonore vous intéresse, contactez un sound designer.
La publicité et le publi-rédactionnel
Ron Popeil, inventeur de gadgets et légende du téléachat, nous rappelle pourquoi il faut être subtil quand on essaye de vendre :
“Ces gens étaient ici pour autre chose. Ils ne venaient pas pour acheter ce que je vendais.”
Plus une stratégie est visible, plus la cible va se détourner.
Guerilla
La subtilité fait réfléchir.
Le but principal du guerilla marketing (et peut-être du marketing en général) est d’amener les gens à réfléchir et parler de votre marque et des produits que vous vendez. Au lieu de dépenser beaucoup d’argent pour créer quelque chose de flashy, certains préfèrent dépenser pour réaliser quelque chose de malin. L’intérêt de la guerilla est de lutter avec des moyens réduits et non conventionnels.
Cinéma
Le cinéma est un bon exemple de la lecture à plusieurs niveaux introduite par la subtilité des références.
Les non cinéphiles (comme moi) qui ratent 99% des cameo de Zoolander peuvent rire des gags et du scénario.
Pour les amateurs, le film devient moins potache et plus “culturel” : il révèle et flatte leur connaissance.
Enfin, les spectateurs qui ont été avertis après un premier visionnage candide s’amuseront à revoir les scènes ou le film entier, développant une familiarité supplémentaire avec l’œuvre.
Cette méthode fonctionne aussi avec des références symboliques, philosophiques et culturelles (Matrix, 2001 l’Odyssée de l’Espace…)
À emporter
La subtilité en marketing et design consiste à travailler par couches avec le sens de priorités.
- Éliminez ce qui brouille le premier niveau de perception,
- Conservez et raffinez ce qui ajoute de la densité aux niveaux sous-jacents.
Sources
- The Power of Restraint
- Subtle Guerilla Marketing – Smaller May Be Better
- There Are Hidden Messages in These 40 Famous Logos: How Many Can You Find? [Infographic]
- 15 Corporate Logos That Contain Subliminal Messaging
- 20 Clever Logos with Hidden Symbolism
- LOGO TUTORIAL #3: DON’T BE LITERAL
- The Man Behind the FedEx Logo
- The Story Behind The Famous FedEx Logo, And Why It Works