Pour une fois, un article d’actualité, en forme de réponse à cet article de Christophe Lachnitt de Superception :
Yahoo!, Google, Uber : pourquoi cette frénésie de changements de logo ?
Raté ou réussi, le nouveau branding Uber est riche de perspectives sur l’avenir du branding et du business.
>> Si vous êtes pressé, scrollez jusqu’au “bloc-note” en bas de page.
Confusions
Logo ou Icône ?
Avant de rentrer dans le vif, éclairons certaines confusions.
« Alors que son logo précédent représentait un “U” stylisé, l’Entreprise dispose désormais de deux logos. »
Christophe Lachnitt
Attention ! L’ancien “U” et ces deux symboles ne sont pas des logos mais un “nouvel” objet de branding : l’icône d’application mobile. Voici les anciens et nouveaux logo Uber (voir plus bas en contexte sur le site web) :
Bit & Atoms
« (…) le cercle incarnerait l’atome (l’humanité). »
Christophe Lachnitt
Attention ! Le disque est utilisé pour représenter une des applications Uber, ce sont les motifs en arrière plan qui représentent l’humanité, les atomes.
L’icône a donc 3 couches, en partant du plus profond :
- les atomes (motifs et couleurs pour chaque ville),
- l’application (disque pour les passagers, hexagone pour les chauffeurs, surprise pour la suite…),
- le bit (petit carré).
Discussion
Logo
NB. Ne pas confondre le logo (lettrage) et les icônes d’application (voir plus haut).
Si ce nouveau logo n’est pas génial, on n’a pas grand chose à lui reprocher non plus. Il est plus lisible que l’ancien en petit format ou de loin. Il sera plus “clean” et solide pour les 5 à 10 prochaines années sans la finesse excessive, les petites pattes fantaisistes ou l’interlettrage disharmonieux.
Les votants sur BrandNew sont d’ailleurs très cléments avec ce nouveau logo.
Moto
« last but not least, le nouveau motto d’Uber – “We leave no bit or atom unturned to create industries that serve people, and not the other way around” – est le slogan le moins émotionnel qu’on puisse imaginer, et ce alors même qu’Uber présente son rebranding comme une initiative destinée à mieux communiquer son supposé caractère humain. »
Christophe Lachnitt
Wow.
Que s’est il passé ? Une fois n’est pas coutume :
Pour les détails et une traduction en français, je vous renvoie aux 4 Assassins du Marketing.
Heureusement, si j’en crois la conclusion du communiqué de presse, l’énoncé de mission exemplaire de Uber est conservé :
Uber started out as everyone’s private driver. Today we aspire to make transportation as reliable as running water, everywhere and for everyone. Our new brand reflects that reality by working to celebrate the cities that Uber serves.
Icône et Contexte
Encore le contexte ! La mise en contexte prend 10 minutes et c’est fondamental quand on prétend faire du “design”. Ici, l’icône est-elle identifiable parmi ses semblables ?
Comme dans l’affaire Tropicana, on se demande si les dirigeants des grandes entreprises savent utiliser une checklist…
Les lecteurs de BrandNew se grattent la tête…
Pour être honnête, ces articles et sondages sont réalisés à chaud et j’imagine que ce travail a quand même été fait. Comme en musique, les symboles les plus séduisants au premier regard ne sont pas toujours les plus durables…
Nous verrons avec l’habitude, le temps de désapprendre le fameux U, si cette icône est repérable en contexte. Après quelques jours d’utilisation je trouve déjà que ce disque blanc percé sur une masse plus dense se repère finalement assez bien au milieu des autres apps. Les motifs apportent une certaine séduction sur un écran mobile de qualité. L’animation des motifs au lancement est un rappel agréable de la marque (locale) sans tomber dans le “logo dans ta face”.
Méthode et Management
Comme le souligne Christophe Lachnitt, il y a peut-être un problème de management dans cette histoire.
Autocratie, micromanagement, agressivité et HiPPOs… Un cocktail qui ne favorise pas la créativité. N’est pas Elon Musk qui veut. Steve Jobs lui-même se reposait sur Jony Ive tandis que Jeff Bezos comme les ingénieurs de Google ont du accepter de faire confiance à de vrais designer.
« Kalanick is not a designer. He’s an engineer by training and an entrepreneur by nature. Yet he refused to entrust the rebranding to anyone else. »
Wired
En lisant le récit de ce rebranding, je suis frappé par la durée du projet (2,5 ans) et l’épisode du “j’ai eu l’idée des motifs en regardant le carrelage de ma salle de bain”. L’équipe semblait manquer d’un process créatif et surtout d’une vraie méthode de gestion de la créativité. Le brainstorming et autres jam sessions ainsi que le hasard composaient l’essentiel de leur démarche créative selon le récit qu’en fait Wired.
Cohérence
“l’Entreprise fragmente son identité graphique. Elle renonce ainsi à une cohérence qui lui serait plus utile que jamais”
Christophe Lachnitt
Ce rebranding souffre en effet d’un manque de cohérence presque incroyable comme le montre cette planche.
Mais avant de décréter que cette bande de personnes à succès est incompétente, essayons de comprendre leurs objectifs…
Post-modernité Globale
Pourquoi ce manque de cohérence apparent ?
Uber essaye de vivre son ambition “globale”, assis sur la multitude. Dans ce paradigme, il ne peut être un monolithe corporate comme ses ancêtres, les franchises à la McDonald’s ou Starbucks, ethnocentrées, acculturantes et répliquées à l’identique autour du monde…
« Kalanick realized he shouldn’t be controlling everything. It felt wrong for Uber’s global and local brands to revolve around the color preferences of a rich, white guy in California—even if that rich, white guy in California is the CEO. “We walked out and we were like, this is crazy—we’re designing a brand for Travis,” says Amin. »
Wired
Cette nouvelle identité drague les “BRIC”. Ces grands pays émergeants sont dans une dynamique de croissance, les monopoles y sont peut être moins difficiles à déplacer et les infrastructures publiques en retard ne répondent pas aux besoins de mobilité des citoyens.
Avec ce regard excentré (ou recentré), on pourrait s’amuser des commentaires dédaigneux du lectorat de Wired ou Brand New…
Et si ?…
Assez ri et critiqué ! Give it 5 min.
Voici une hypothèse pour expliquer ce manque de cohérence et de puissance de marque.
Et si tout ça était fait exprès ?
Subtilité no logo
Uber a une ambition sans limites.
Il veut être partout, tout le temps.
Il sera tellement omniprésent qu’un branding classique à la McDonald’s serait insupportable.
Et si cet apparent manque de cohérence avait été méticuleusement conçu pour rester très discret, subtil, juste quelques indices, des signes de reconnaissance effacés ?
Et si Uber créait là un branding à long terme, non pas fait pour exciter les designer mais pour unir sans fracas les pièce du gigantesque puzzle ? Le puzzle d’une entreprise qui veut être dans les premières à atteindre la valorisation d’1 trillion de dollar ?
Et si l’avenir de la giga-corporation n’était pas d’envahir l’espace de logos comme dans les films de SF, façon propagande Nazi, mais au contraire de saupoudrer son territoire de signes discrets, de motifs, de symboles géométriques minimalistes ?
No logo ! Dans cet avenir ou Uber est omniprésent, seul un branding léger, sans logo et décliné localement permettrait d’éviter rébellions et soupçons.
Global mais Local
Pourquoi cette apparente dispersion avec des couleurs et motifs différents pour chaque ville ?
D’un point de vue purement pratique, les manager locaux de Uber ont besoin de créer des supports marketing, B2B et B2C, adaptés à des marchés très spécifiques, de Lagos à HaNoi, de Tokyo à Genève, de San Francisco à Bombay. Les designer savent à quel point la perception des couleurs est une question culturelle…
“Uber may be a global brand, but it is a local business. To succeed, Uber must build driver networks in cities worldwide, and each city is unique. In Lagos, for example, Uber riders can pay cash. In Colombia, if you’re drunk, you can summon an UberAngel to meet you on his bike and drive your car home for you.”
Wired
Uber valorise le local dans sa communication car il se veut partenaire des villes ; une stratégie pour faire face aux États sous la pression des anciens monopoles.
Our new brand reflects that reality by working to celebrate the cities that Uber serves.
Dans sa lutte de survie face aux monopoles et les états qui les soutiennent, Uber fait le pari des villes.
Pourquoi ?
Christophe Lachnitt titre “pourquoi cette frénésie” ?
Puis il répond : “parce-que les PDG veulent laisser leur marque”.
Wired lui donne raison :
When you don’t really know who you are, he says, it’s easy to be miscast—as a company, or as a person. For Kalanick, who turns 40 this year and has gained a few more shades of silver in his spiky, salt-and-pepper hair, this rebrand has been an act of self-exploration. It is his attempt to define who he is, and to give himself the flexibility to evolve alongside the company he started.
J’ajoute à cela des facteurs “business” car Uber ou Google sont, selon divers critères, de gigantesques entreprises. Pourquoi cette “frénésie” de nouveaux logo ?
- Parce-que ces entreprises croissent, elles diversifient leurs activités et ont besoin d’une identité plus “meta”. (Google, Uber)
- Parce-que les fondateurs / dirigeants / salariés ne reconnaissent pas leur essence dans l’identité visuelle utilisée depuis le lancement ou la dernière mise à jour. (Uber)
- Parce-que le mobile devient prioritaire et que la taille des applications graphiques dicte l’apparence des logos. (Google, Uber)
- Parce-qu’il vaut mieux rafraîchir un logo vieillissant et financer sa transition tant qu’il n’est pas encore obsolète. (Google, Yahoo ?)
- Parce-qu’on est dans la merde. (Yahoo)
Identité
Uber se “airbnbise”.
Avant :
Après :
En regardant le site avant et après, on remarque l’évolution depuis une niche “luxe accessible” vers un “partage local” et universel. C’est proprement le jour et la nuit ! (relisez les accroches)
“The early app was an attempt at something luxury,” says Kalanick. “That’s where we came from, but it’s not where we are today.”
On peut voir dans ce rebranding la volonté d’abandonner la marque-monolithe et d’utiliser la force “transformative” de la communication, pour faire plaisir à Laurent Habib.
“Uber’s attempt to transform its purpose and cement a new reputation—to change not only how it is perceived throughout the world, but how it perceives itself.”
Wired
Si vous voulez juger ce langage visuel, voici les piliers de l’identité Uber selon son fondateur :
“grounded, populist, inspiring, highly evolved, and elevated”
Bloc Note
- Uber se bat pour la survie face aux lobbies et pouvoir public,
- Uber fait le pari des villes (contre les états ?),
- Par nature, le service Uber est (ultra)local,
- Uber joue la carte des BRIC,
- Uber ne veut pas paraître ethnocentré comme ses ancêtres corporate américains,
- Uber ne va pas s’en tenir à déplacer des personnes et encore moins à faire du transport premium en noir et blanc (sa niche de démarrage),
- Uber est en hypercroissance et doit garder ses troupes concentrées, avec une bonne compréhension de l’entreprise.